En suivant des couples pendant des décennies, les sociologues Eric D. Widmer, Jean Kellerhals et René Lévy ont identifié cinq formes de relations, chacune avec ses avantages et ses inconvénients.
Le Monde, Publié le 15 février 2005
À quoi ressemble un couple ? Difficile d’en donner une définition précise, d’en dessiner les contours. Celui de Sophie et Martin, ces êtres fusionnels qui ont disparu de la circulation depuis qu’ils se sont dit oui, n’a rien à voir avec celui de Pauline et JP, que vous jugez très tradi, ni avec celui de Maxime et Maxence, qui ont l’air d’avoir chacun une vie de célibataire. Nous construisons tous notre couple selon nos référents personnels, notre personnalité, une période donnée de notre vie… Pourtant, il existe bien des grandes cases dans lesquelles il est aisé de se retrouver.
Ces typologies de couple, trois sociologues les ont étudiés en Suisse, les suivant durant des décennies. Ils les ont vus évoluer, se transformer, parfois se briser. Ils ont vu des couples passer d’une forme à l’autre, au fur et à mesure des projets individuels ou des changements de cap. Au final, ils ont tiré de leurs observations cinq grandes catégories, que nous vous présentons ici. Evidemment, il est difficile de cocher toutes les cases, et personne n’est contraint à rester dans une forme de couple à vie. Tout est fluctuant, mouvant, mais ces familles représentent malgré tout une grille de lecture sur les formes de vie à deux, et sur les difficultés que chacun peut y rencontrer.
Le couple Cocon
Face aux agressions et aux tourments du monde extérieur, les cocons se réfugient dans la vie à deux. Fusionnels, partageant goûts, activités et tâches ménagères (avec une faible répartition sexuée dans le partage des tâches), ils jouent la carte de la solidarité, de la souplesse et de la tendresse face à une société dans laquelle ils veulent peu s’impliquer. C’est « nous contre le reste du monde », et le home sweet home est une bulle où l’on vient chercher réconfort et sexualité (sans forcément trop en faire, on est attentif au plaisir de l’autre), le reste (évolution professionnelle, engagements politiques, etc.) n’ayant que peu d’importance. Mais à vouloir éviter les conflits pour ne pas mettre à mal le duo, ce dernier peut se trouver en danger.
Le couple Parallèle
Chacun à sa place, et les enfants seront bien gardés : chez les parallèles, on fait sa vie de son côté d’après des règles claires et non négociables. Dans les couples hétéros, on note une différenciation claire : à l’homme une partie des tâches, à la femme l’autre partie. Ce n’est clairement pas la fête de l’égalité des genres (ni la fête tout court), et ne vous attendez pas à les voir se faire des papouilles dans la rue, ils n’ont pas le temps (et pas envie). D’ailleurs, ils sortent peu. La notion de fidélité est toute relative, à peu près autant que celle de plaisir au lit (fort taux d’insatisfaction sexuelle !). Une sorte de cohabitation cordiale dans une grotte, quoi. L’enquête des sociologues ne précise pas s’ils s’aiment vraiment, mais il semble que ce format, qui privilégie la destinée individuelle, soit celui qui conduise le plus à la séparation (avec les couples de type associatif).
Le couple Association
Vous l’attendiez, le voilà, le couple de la « génération moi moi moi », qui laisse à chacun une place pour s’épanouir. A chaque membre ses projets, ses désirs, et le ou la partenaire est aussi là pour pousser l’autre vers son destin. Au lit, l’imaginaire érotique bouillonne, au risque d’être facilement déçu ou lassé. La fidélité est souvent jugée moins importante, comme chez les parallèles, mais contrairement à ces derniers, on se répartit les tâches et on discute, beaucoup, beaucoup. Les cartes peuvent être rebattues à tout moment, et l’association permet de profiter des avantages du couple (les petits bonheurs de la vie à deux) sans souffrir des inconvénients (les contraintes qui empêchent d’avancer individuellement). Le couple associatif est ouvert sur l’extérieur, en binôme comme en solo, et c’est un équilibre tout à fait naturel. Mais attention : dès que la routine s’installe ou que le projet à deux vient empiéter sur le projet individuel, ça peut exploser. Modernes, les couples associatifs n’en sont pas moins fragiles sur le long terme, et ils sont aussi ceux qui présentent le plus fort taux d’insatisfaction (avec les parallèles). Ils évoluent souvent vers la forme « compagnonnage ».
Le couple Compagnonnage
Fusionnels, mais ouverts : les compagnons s’engagent (a priori) pour la vie et la famille est au cœur du modèle. Ici, pas de tâches définies ni de règles immuables mais de la souplesse : chacun peut, selon les besoins du moment, assurer la stabilité financière comme les tâches quotidiennes tant que c’est pour le bien de la tribu. La sexualité est importante, au moins autant que la fidélité ! On discute, on échange, et comme le couple passe au-dessus de l’individu, on est prêts à faire des sacrifices (tant qu’ils sont répartis). Mais pas question de s’enfermer pour autant : les couples compagnons forment un duo soudé qui s’engage dans la collectivité et valorise les relations avec l’extérieur. En bref : un amour fort, une souplesse au quotidien, et des sacrifices considérés comme normaux tant qu’ils permettent de maintenir la stabilité du duo.
Le couple Bastion
Assez proche du parallèle et du cocon, le bastion a toutefois une particularité : le « je » a tendance à s’effacer derrière le « nous » dans une relation fusionnelle basée sur l’interdépendance (un cocon préféminisme, d’une certaine façon). Les décisions se prennent à deux, le consensus est obligatoire, mais ça reste genré (la femme s’efface souvent devant l’homme) pour le bien de la famille. Ici, on se marie plus qu’ailleurs, et la sexualité n’a rien d’une partie de plaisir, elle est plutôt vue comme un devoir conjugal. Comme chez papy-mamie, à elle de prendre soin de l’intérieur, à lui la communication avec le reste du monde. Routinier, stable et sans éclat, le bastion n’empêche pas les nouveaux projets et les évolutions, tant que ce ne sont pas des révolutions.
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